Lacan et le Zen


« Le maître interrompt le silence par n’importe quoi, un sarcasme, un coup de pied. C’est ainsi procède dans la recherche du sens un maître bouddhiste selon la technique Zen… (Lacan,  séminaire 1, 1954). Jusqu’au dernier séminaire  (1980) «  La Dissolution » la pensée Zen traverse l’œuvre de Lacan. Le mot zen ne signifie pas «  méditation », mais littéralement  dans sa transcription phonétique du Pali : «  absorption », c’est-à-dire  «  dissolution ». C’est cette perte de sens que le zen appelle satori.

 « Y’a de l’un ».

Quand on a ouvert le tombeau de Houei neng, on n’a trouvé qu’une sandale.  Pareil à « L’unique trait de pinceau » du peintre bouddhiste zen Shitao, pareille au « trait unaire » de la psychanalyse, cette sandale, ce « un » est issu du « trois » : Il présente un début : l’ouverture du tombeau, une trace : une seule sandale, et une fin : la disparition de l’autre. Rien à voir avec le un, indivisible et solitaire, le un de Parménide, qui exclut tout ce qui n’est pas lui et qui fonde la pensée philosophique. N’importe quel trait a un commencement, un milieu, c’est-à-dire une trace, et une fin. L’origine, la trace et l’interprétation. Tout trait se referme sur lui-même en topologie pour former un zéro, lequel,  chez les bouddhistes comme chez les taoïstes représente  le Nirvana.

Houei neng était bucheron. Il coupait des arbres dans les forêts de Canton. Il vivait avec sa mère. Il entendit un jour dans les bois un moine réciter  le Discours sur le vide. Il en comprit instantanément le sens qui est l’absence profonde de toute espèce de sens. Aussitôt il abandonna sa mère et son métier de bucheron pour se rendre  au temple de «  la Prune Jaune ». Le maître du temple Houng-jen lui demanda : Que veux-tu ? – devenir moine, dit Houei-neng. Mais tu es un homme du Sud, un cantonnais, un bucheron. Ici il n’y a que des hommes du Nord, tous des lettrés, toi tu ne sais ni lire ni écrire. Houei-neng répondit : Dans le fantasme du sens il y a des gens du Nord et des gens du Sud, des lettres et des mots plein de significations, mais dans le vide il n’y a ni Nord ni Sud, ni lettres ni sens.  C’est bon dit Houng-jen, passablement étonné, Je t’accepte. Vas aux cuisines, tu t’occuperas au décorticage du riz.  Huit mois plus tard, Houng-jen qui était très vieux décida de choisir son successeur parmi les mille lettrés de son temple.  « Celui qui résumera le mieux mon enseignement du Tchan sera mon successeur » annonça-t-il. Le plus savant de tous était Chen-siou qui par ses connaissances faisait l’admiration de tous. Chen-siou écrivit le poème suivant que tous les moines approuvèrent : «  Le corps est l’arbre de l’Eveil. L’esprit est un miroir. Essuyons-le sans cesse pour qu’aucune poussière ne l’empêche de refléter  la vérité ».

Ce poème fut exposé sur le mur extérieur de la salle de Tchan. Houei-neng se le fit traduire. Ce n’est pas ça du tout, s’exclama-t-il. Voulez-vous bien écrire à ma place le poème suivant, demanda-t-il poliment  à un moine. Le moine accepta le défi. Voici ce que dicta Houei-neng : «  L’Eveil n’est pas un arbre. L’Esprit n’est pas un miroir. Tout est vide depuis le commencement. Où y aurait-il de la poussière ? »  Aussitôt qu’il vit le poème, Houng-jen déclara : « Cet auteur a compris le Tchan, c’est lui qui peut porter l’habit de Bodhidharma. Il est mon successeur. Comment un illettré peut-il devenir le maître d’un temple de mille lettrés ? Si l’on ne comprend pas le vide, ce serait une calamité. Mais si l’on comprend le vide  on est expert en corps et en esprit. On connaît le RSI. En revanche ceux qui n’étudient que le corps ou que l’esprit refoulent le Vide. Le vide, tel fut l’enseignement de Houei-neng qui marqua de son sceau toute la pensée chinoise. La pensée chinoise est l’empire des traits. Son écriture n’est faite que de traits. Or tout trait en topologie  se ferme sur lui-même pour s’avérer être un zéro, l’emblème du vide, le Réel du système inconscient selon Lacan.

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