Le troisième nous introduit à la triple dimension de la parole. Se déroulant dans le temps la parole est constituée comme le temps de ses trois inséparables hypostases : présent, passé, futur. Le nombre trois, n’est pas un accident mais le nombre fondamental du Daoïsme.
Le Dao de jing est ainsi composé de 81 poèmes, soit trois au carré : 3 x 3 x 3 x 3, ou 3 à la puissance 4.
Tous les commentateurs chinois ou occidentaux ne manquent pas de souligner cette construction. C’est que le trois fait référence, en autre, aux trigrammes du légendaire Fou hi, le premier empereur, auteur du I King, Le livre des transformations.
Parallèlement le trois est encore fondamental en psychanalyse, depuis les topiques de Freud : « inconscient, préconscient, conscient », la première, et la seconde « ça, moi, surmoi » jusqu’à la triplicité « Réel, Imaginaire et Symbolique » structurant la topologie des nœuds de Lacan. Dans tous les cas c’est du trois que provient la consistance du « un ».
La parole se présente donc selon trois registres:
1) Le registre Symbolique, utilisé pour communiquer avec autrui et qui fonctionne sur le principe d’identité.
2) l’Imaginaire qui exprime la perception particulière d’un l’individu, le registre subjectif, fermé sur lui-même.
3) le registre du Réel, la parole vraie, le Dào indispensable pour se libérer des contraintes des deux autres afin d’en créer un meilleur usage. Il s’agit de la parole sans appui « l’inanité sonore », comme dit Mallarmé, renouvelant sans cesse ses codes. C’est la parole de l’obscur, la parole de l’inconscient, la parole du ça, la parole du vide. Comme l’explique le sémiologue Roland Barthes dans L’empire des signes. C’est un « verbe sans sujet, sans attribut et cependant transitif, un acte de connaissance sans sujet connaissant et sans objet connu ».
Cette parole est désignée précisément par le trait séparateur qui disjoint le signifié du signifiant dans l’algorithme structuraliste de Ferdinand de Saussure : s/S. Certains poèmes du Dào de jing se rapportent donc à l’une ou l’autre de ces trois dimensions du langage. Visiblement Lao zi excellait à en faire jouer les distinctions.
En se servant de ces différenciations essentielles, aussi anciennes que modernes puisqu’elles relèvent autant de la psychanalyse que du couple vénérable du Yin (l’obscur), et du yang (le clair), façon première de distinguer l’inconscient du conscient, le Dao de Jing déploie les mouvements de sa cohérence.
On reconnaîtra d’abord à Lao zi le mérite de ne pas confondre le système inconscient et le système conscient. Le RSI de l’inconscient n’est pas le RSI du conscient. La logique de l’obscur n’est pas celle du clair. Ensuite que Lao zi, comme, quelques millénaires plus tard la psychanalyse, donne la préexcellence à la parole du Réel, la parole de l’inconscient qui, comme l’enseignent Freud et Lacan, précède le système conscient.
Dès son troisième poème Lao zi nous fait distinguer le système inconscient du système conscient. Si nous les confondons, comme il arrive étourdiment à beaucoup de commentateurs chinois et de traducteurs occidentaux, ne serions-nous pas contraints de comprendre qu’avec son wu wei (littéralement non agir) Lao zi enseigne un idéal d’irresponsabilité, de paresse et d’indifférence ?
Que Laozi enseigne que le peuple (min) doit être tenu dans l’ignorance et la pauvreté pour l’insolente raison que la richesse favorise la culture ? « Le peuple doit être maintenu dans un état d’ignorance complète » (poème 3). Les gouvernants ont intérêt on ne pas s’occuper du peuple mais seulement à s’occuper de « remplir leur ventre et de fortifier leurs os » (poème 3).
Cette confusion des registres, ces sinistres propositions, cet éloge cynique de la tyrannie et de la perversion seraient-elles destinée à favoriser le Confucianisme ou quelque autre idéologie ? Ou s’agit d’autre chose ? Ne serait-ce pas de nous proposer de distinguer l’un de l’autre les systèmes inconscient et conscient, le yin du yang ?
Comment pourrions-nous comprendre, par exemple, que dans le Tchan, qui est en adéquation avec la pensée daoïste, le maître Lin tsi demande aux futurs moines bouddhistes rien de moins que de « tuer le Bouddha », sans faire de distinction entre l’inconscient e le conscient ? Comment pourrions-nous comprendre les paroles du bucheron Houei-neng (10ème siècle) à qui on refuse l’entrée au temple de la Prune Jaune sous prétexte que, comme les gens des régions du sud, il ignore l’écriture et ne sait même pas lire. Houei-neng expliqua la différence des systèmes inconscient et conscient, le yin et le yang : « Dans la réalité (yang) il y a le nord et le sud, des lettrés et des illettrés, mais dans le vide (yin) point d’orientation, point de lettrés ou d’illettrés ». Non seulement Houei neng fut autorisé à entrer dans le temple mais il en devint le gouverneur. C’était quelqu’un qui comme Lao zi savait analyser l’Obscur et le Clair. Car autant l’idéal du vide est gratifiant et prodigieux dans le système inconscient autant il est sinistre et dangereux dans le système conscient.
Autant « la perte de tout sens » constitue ce que le tchan appelle « satori », (悟, wù, en chinois), et le Bouddhisme, le nirvana, l’Eveil dans l’inconscient, « la jouissance sans appui », autant dans le système conscient la perte de tout sens, l’absence de repères engendre l’angoisse la plus destructrice. A confondre ces deux dimensions on aboutit régulièrement au mieux à la médiocrité et la névrose au pire à la psychose et la perversion.
L’idéogramme Dào,
parole, est composée de trois parties : Le pictogramme du haut représente
des « cheveux », il peut être
interpréter comme le « surmoi » puisque les cheveux sont au-dessus.
Le pictogramme du rectangle, représente un « visage », il peut être interpréter
comme représentant le « moi », et le pictogramme du
trait qui court, comme le ça ». L’idéogramme Dào parole représente bien les discours du « ça », du « moi » et
du « surmoi » inconscients.
« Traité de la parole
et de ses pouvoirs » (Dao De Jing).
Premier poème :
La parole vraie n’est pas
la parole ordinaire
Le mot ordinaire n’est pas
le mot véritable
Vide, est ce par quoi on nomme l’origine du ciel et
de la terre
C’est
pourquoi on ne désire pas habituellement contempler les choses comme si c’étaient des miracles
On préfère leur inventer
des raisons
Ces deux notions, miracle
et raison, ont pourtant la même origine et
ne diffèrent que par le nom. Cette origine s’appelle l’Obscur (l’inconscient *)
L’Obscur est la porte de toutes les merveilles
*Comme dit Freud
« A l’ origine tout était ça » (Abrégé de psychanalyse, p.26)
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